Focus du 24 septembre 2014
Oncologie de tous les jours
Les sarcomes des tissus mous
Dans ma pratique en tant qu’oncologue au Centre vétérinaire DMV, j’ai la chance d’échanger quotidiennement avec de nombreux vétérinaires de cliniques primaires dans le but de les aider avec la gestion de leurs cas. Les appels ou courriels reçus concernent principalement 4 types de cancers présents dans la population féline et canine au Québec: Les sarcomes des tissus mous, les lymphomes, les mastocytomes ainsi que les tumeurs mammaires. J’ai alors décidé de baser mes Focus DMV à venir sur ces principaux types de tumeurs sous une même rubrique : Oncologie de tous les jours.
Pour obtenir la version imprimable de ce Focus cliquez ici ou sur l’image :
La première rubrique porte sur les sarcomes des tissus mous, ce type de tumeur cutanée/sous-cutanée relativement fréquemment rencontrée en pratique générale et encore méconnu pour certains. Comme ce sarcome représente près de 15% des tumeurs cutanées, il est important de s’y intéresser. Dans un récent rapport de cas écrit pour le Rapporteur de l’AMVQ et dans ce Focus, Je recommande le court résumé de ces tumeurs dans le Kirk Current Veterinary Therapy XIV au Chapitre 69 à la page 324. Les Drs Banks et Liptak en font la meilleure description connue à ce jour à mon avis. J’essaierai ici de résumer points importants pratico-pratiques.
Les sarcomes des tissus mous, ou « soft tissue sarcoma », sont un sous-groupe de sarcomes au comportement biologique et caractéristiques histologiques communes. Ils regroupent les hémangiopéricytomes, schwannomes, neurofibromes, fibrosarcome, etc. Toutes ces appellations sont regroupées sous un même terme car leurs comportement clinique est semblable et l’approche thérapeutique est la même. Ils n’incluent pas l’hémangiosarcome sous-cutané, le lymphangiosarcome ou le sarcome histiocytaire cutané, sarcomes avec un comportement très agressif et variable.
Les sarcomes des tissus mous sont cutanés ou sous-cutanés et peuvent être retrouvés à n’importe quel site anatomique. Ils sont fréquents chez les chiens d’âge moyen a avancé. Ils sont souvent pris pour des lipomes car leur croissance est parfois lente et leur texture molle et fluctuante. À la cytologie, ils peuvent parfois ne pas exfolier et amener à croire que le gras présent sur nos lames de microscope est représentatif de la masse. À la chirurgie, ils apparaissent « encapsulés » mais leur réelle pseudocapsule est en fait des cellules cancéreuses compressées. Lors de l’excision, cette pseudocapsule donne au vétérinaire l’impression d’avoir « pelé » la tumeur complètement. Malheureusement, ceci indique que des cellules cancéreuses sont toujours présentes au site d’excision. Leurs marges sont en fait mal définies et l’invasion locale est phénoménale par la formation de tentacules ou racines tumorales en profondeur. Leur récidive est fréquente suite à l’excision incomplète (environ 9 mois plus tard) et celle-ci semble se présenter avec une vengeance; La récidive est accéléré par la création d’un milieu propice pour les cellules laissées derrière à proliférer (cytokines diverses, néovascularisation, sélection de clones de la périphérie avec plus de mutations avantageuses…). Ceci fait que les récidives sont beaucoup plus difficiles à traiter et on se demande parfois l’utilité de l’excision marginale conservative quand l’on anticipe déjà ne pas pouvoir obtenir de marges adéquates. Les marges chirurgicales requises sont 3 cm de tissu sain en latéral et un plan de fascia profond. Si ces conditions ne sont pas remplies, un plan thérapeutique adjuvant (ex. radiothérapie curative pour stériliser les marges tumorales) ou l’amputation du membre DOIT être prévu et discuté avec le client avant de se lancer en chirurgie pour gérer les attentes et surtout offrir les meilleures options thérapeutiques disponibles. Il ne faut surtout pas éviter de référer à un chirurgien ACVS qui aura probablement l’expertise requise pour augmenter le risque de contrôle local à long terme, comme certaines études le démontrent. De plus, celui ou celle-ci pourra déterminer si la chirurgie est à considérer ou éviter. Il ne faut pas se gêner d’appeler votre oncologue pour discuter de plan thérapeutique dont la radiothérapie adjuvante avant de se lancer.
L’histopathologie nous permet de séparer les sarcomes en 3 grades. Les sarcomes des tissus mous classiques de grade I ou II ont un taux de métastase faible ce qui nous permet d’éviter les traitements de chimiothérapie à base de doxorubicine IV. Les métastases se font plus par voie hématogène (poumons) que lymphatique mais l’inspection des nœuds lymphatiques drainant est quand même recommandée. Les grades I ont moins de 10% de taux de métastase tandis que les grades II moins de 20% et les grades III près de 40-50% ce qui nous amène à recommander une chimiothérapie adjuvante. L’index mitotique semble avoir une valeur pronostique puisque les sarcomes avec plus de 20 mitoses par 10 champs à fort grossissement ont plus tendance à métastaser. Le bilan d’extension, souvent fait par vous nous permet de déterminer le stade d’où le terme anglais « staging ». Comme je dis à mes étudiants, dans tous les types de cancer, le « grade » ne peut être donné qu’à l’histopathologie tandis que le « stade » est donné suite au bilan d’extension. Donc, règle générale, si votre résultat de cytologie ou de biopsie incisionnelle est un sarcome des tissus mous, je recommande que vous lui fassiez des radiographies thoraciques 3 vues, une hématologie, une biochimie avec urologie (ou densité urinaire au minimum) et une inspection +/- aspiration du nœud lymphatique régional. L’échographie abdominale est souvent recommandée pour s’assurer que le patient n’a pas de tumeurs concomitantes, ou plus rarement des métastases abdominales, car il est rapporté qu’un animal avec un cancer est plus à risque d’être porteur d’une autre tumeur.
L’important est l’identification précoce de ces tumeurs par cytologie (62% de succès) ou la biopsie INCISIONNELLE par « Punch », « Wedge » ou « Tru-Cut » suivie idéalement par l’excision par un spécialiste « boardé » en chirurgie (ACVS), ou un vétérinaire primaire chevronné selon la localisation, qui approchera la masse avec l’agressivité méritée (3-5 cm de marges latérales et un à deux plan de fascia profond selon le cas). Comme dans plusieurs aspects de notre pratique de tous les jours, il est nécessaire de connaitre nos limites et surtout de ne pas nuire à l’animal en faisant une chirurgie futile voir nocive. Ce point est important car les chirurgies conservatrices ont un impact majeur sur le temps de survie des patients comme mentionné ici-haut. Donc il ne faut pas se sentir mal de référer dans le doute puisque l’euthanasie est habituellement causée par la perte de contrôle de la tumeur locale des mois après la première excision non curative. La croissance de la tumeur ne cesse jamais et celle-ci atteint une taille démesurée et créé des signes locaux débilitants (alopécie, peau mince, ulcération, infection, douleur et contrainte mécanique si près d’une articulation) qui mèneront à l’euthanasie par manque de qualité de vie. Si malgré toutes ces précautions les marges sont incomplètes ou quand des marges de 3 cm sont impossibles, la radiothérapie définitive reste l’alternative de choix pour permettre à un chien de 12 de se rendre potentiellement à 15 ans!
Pour toutes questions sur les cas de radiothérapie n’hésitez pas à me contacter
– par courriel au [email protected]
– ou par texto sur mon cellulaire au 514 226-1196.